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Regard sur l'oeuvre de Jeanne Pomerleau


Jeanne Pomerleau a d’abord laissé sa Beauce natale pour travailler comme garde-malade dans les hôpitaux de Thetford-Mines, de Saint-Jérôme, de Victoriaville, puis à l’Hôtel-Dieu de Québec.

Elle allait par la suite suivre son conjoint Jean-Claude Dupont aux Universités Memorial de Saint-John’s, Terre-Neuve, puis de Moncton, Nouveau-Brunswick, où elle gradua en histoire et en français, et à l’Université Laval où elle réalisa des études en création littéraire. Ce dernier passage fut à l’origine de l’écriture d’un récit romanesque relatant le genre de vie dans un village beauceron, Les Grandes corvées beauceronnes, et d’un conte pour enfants, Le Montreur d’ours.

Pendant ce cheminement à travers ses études, ses travaux académiques allaient porter sur des sujets ethnographiques. Elle profita aussi des missions de recherches sur le terrain de son conjoint pour faire de son côté des relevés ethnographiques auprès d’informateurs. C’est ainsi qu’elle redécouvrit la culture traditionnelle de la Beauce et de nombreuses autres régions du Québec et de l’Acadie, par exemples.

Ses intérêts portèrent surtout sur les métiers de transformation des matériaux comme ceux du bois, de la pierre, sur les métiers de la chasse et du trappage, de l’agriculture et des travaux forestiers, entre autres. Elle allait également porter une attention spéciale aux métiers ambulants de jadis et aux travaux des artisans de village.

C’est ainsi que les différents métiers en dépendance des saisons, comme le bûchage et le halage du bois dans les chantiers forestiers, le flottage du «bois carré», et la drave du «bois de papier», et d’aussi petits métiers comme ceux de «piqueur de gomme» et de cueilleur de plantes sauvages ne lui échappèrent pas.

Ses travaux portèrent aussi sur les chercheurs d’or, les coureurs de bois et les gens de métiers d’aventures, autant d’occupations exposant aux dangers dans des territoires inconnus et à la rencontre de personnes redoutables.

Si elle s’intéressa davantage à la pratique d’occupations qui avaient lieu dans la grande nature, elle ne négligea pas non plus celles qui étaient vécues dans les milieux campagnards. C’est ainsi qu’elle publia en 2003 chez GID un important corpus portant sur les Métiers des campagnes comportant trois tomes : Des métiers pour l’Âme; Des métiers pour le Corps; et Des métiers pour le Voisinage.

Dans cette trilogie, l’auteure fait découvrir dans Des métiers pour l’Âme divers aspects de la vie du curé de campagne, du bedeau, de l’organiste, de la ménagère du curé, du connétable et de la maîtresse d’école chargée d’inculquer les croyances religieuses aux élèves. Le déroulement des activités chez ces gens laisse à l’occasion de la place à la mesquinerie et à l’humour.

Dans Des métiers pour le Corps, l’auteure traite des occupations liées à l’alimentation et l’habillement, à la maladie comme celles du médecin et de l’arracheur de dents, ou associées à la mort, comme la présence du croque-mort et du fossoyeur. Les métiers de meunier, boulanger, fromager et beurrier, tout comme ceux de cordonnier, couturière, barbier, sont aussi au service des gens des villages.

Dans Des métiers pour le Voisinage, l’auteure a rassemblé le monde de la loi, du transport et des communications : le juge de paix, le cantonnier, le maître de poste, le marchand général, l’encanteur, etc.

Ces trois publications fournissent des informations inédites et une abondante iconographie; et elles rappellent la contribution de gens nécessaires au fonctionnement de la vie communautaire.

Dans Gens de métiers et d’aventures, elle décrit la vie des travailleurs qui devaient parfois s’exiler pendant plusieurs mois pour gagner leur vie. Elle dresse le portrait d’hommes et de femmes, souvent des héros à leur manière, meneurs de diligence, postillons, gardiens de phare, cheminots, pilotes de brousse, commis-voyageurs, garde-feux, garde-malades et institutrices en régions éloignées.

Jeanne Pomerleau suit ces hommes et ces femmes à travers les faits et gestes journaliers qu’elle décrit à partir de témoignages et de récits situés dans le temps et l’espace.

Il faut aussi souligner que ces travaux journaliers et saisonniers ne sont pas isolés des rites coutumiers et des croyances qui leur sont intimement associés. Un exemple du genre est fourni par son volume Corvées et quêtes, un parcours au Canada français qui lui mérita une «mention d’excellence» de la Société des écrivains canadiens (section de Montréal).

Ces manifestations vécues en communauté rappellent bon nombre de gestes d’entraide collective après un feu, ou lors de la construction d’une grange, de clôturage, de broyage du lin, de tirage de lignes en forêt, etc. Les grandes quêtes, elles, permettaient de ramasser des fonds pour venir en aide aux démunis, grâce à la guignolée, à la quête de l’Enfant-Jésus, de la chandeleur, du mardi-gras, du bedeau, etc. Ce sont là aussi autant d’occasions de se divertir.

Les amateurs de l’histoire populaire trouvent dans ce volume une véritable encyclopédie du vécu communautaire qui s’est développé chez les habitants du Canada français. Les corvées et les quêtes existent encore de nos jours, surtout à la campagne, mais leurs formes actuelles se sont souvent modifiées, laissant tomber des éléments et en ajoutant de nouveaux.

Les Chercheurs d’or, des Canadiens français épris de richesse et d’aventure, est probablement l’ouvrage de Jeanne Pomerleau qui suscita le plus d’intérêt de la part de ses lecteurs, si l’on considère les questions posées par les descendants de ces aventuriers. Des parents et des gens qui avaient entendu raconter les exploits de ces hardis voyageurs à la recherche d’or qui en ferait des gens riches, furent nombreux à chercher dans ce volume des traces des leurs.

Certains, suite à la parution de cet ouvrage qui se mérita des rééditions, contactèrent l’auteure pour enrichir ou compléter leur recherche quant à un vieil oncle ou à un ancien chercheur d’or disparu lors de son voyage ou de son séjour au Klondike, par exemple. En fait, cet ouvrage éveilla des souvenirs lointains relativement à des aventuriers qui, alors, auraient fait fortune et n’auraient pas transmis leur trésor à leurs descendants.

Cette recherche qui porte aussi sur les difficultés rencontrées lors des voyages vers les pays de l’or, particulièrement la Californie et le Klondike, décrit aussi les différentes techniques de fouilles du sol et de nettoyage du gravier pour en extraire les pépites d’or.

L’espoir, la joie, le désespoir, parfois aussi la maladie et la mort, sont aussi présents dans le vécu des chercheurs; et Jeanne Pomerleau a bien décrit ces sentiments et ces situations dans cette recherche qui exigea beaucoup de travail lors de la cueillette des documents et de l’écriture du texte.

D’un genre de vie semblable à celui des chercheurs d’or quant aux désirs de vivre en liberté, loin des lieux sédentaires de la colonie laurentienne, les «coureurs de bois» se dispersèrent sur les eaux et dans la forêt.

Jeanne Pomerleau, dans Les Coureurs de bois, s’intéresse à ces aventuriers qui partaient à la traite des fourrures sans avoir obtenu un «congé», aux «engagés» qui, eux, partaient en règle pour au moins trois ans, de même qu’aux «voyageurs» ou «canotiers» qui s’engageaient pour faire le transport en canot des hommes et des marchandises de traite, un voyage d’aller et retour qui durait du printemps à l’automne.

Avec le temps, l’expression «coureurs de bois» en vint à désigner tous ces voyageurs qui, pendant plus de trois siècles se rendaient par milliers rencontrer les trappeurs amérindiens en forêt, ou les attendre aux postes de traite ou le long des voies d’eau.

Après avoir décrit leur costume et leur alimentation, leur mode de transport sur l’eau, les portages et leurs rituels et divertissements, l’auteure décrit la vie aux postes de traite.

Cet ouvrage illustré constitue une bonne introduction à la connaissance de ces gens qui succombaient à la tentation du risque pour amasser de l’argent et satisfaire leur goût de l’aventure. Ces hommes à la vie tumultueuse furent d’un apport important à l’économie. Ces frondeurs indépendants à la fois l’objet de mépris et d’envie appartiennent au mythe du «frontierman» nord-américain.

Dans Métiers ambulants d’autrefois qui expose une galerie de 68 petits métiers pour la plupart disparus, l’auteure a entrepris de reconstituer une série d’occupations de moins en moins connues de la société traditionnelle. Ce recueil repose sur une définition du métier ambulant qui : «s’exerce hors d’un atelier dans les rues des villes et sur les routes des campagnes» (p. 10), une autre caractéristique étant l’autonomie de celui qui le pratique, tant en ce qui a trait à son mode de vie qu’à la rémunération qu’il tire de son activité. Il s’agit d’un métier exercé par un travailleur ambulant, contrairement à ceux qui ont lieu dans une boutique.

Jeanne Pomerleau regroupe d’abord les professionnels et artistes, des notaires, des maîtres d’école qui côtoient les musiciens, chanteurs, amuseurs de rue. Dans le deuxième type, elle rassemble les trafiquants et quémandeurs, principalement représentés par les quêteux, bohémiens, maquignons, colporteurs et guenilloux.

Le troisième groupe est celui des artisans-vendeurs, potiers, sabotiers, cordonniers, vanniers. Puis suivent en quatrième lieu, les réparateurs de faïence, de chaudrons, de cuillères, de parapluie; et en cinquième lieu, les gens d’entretien et de service, des ramoneurs, cireurs de chaussures, déneigeurs, crieurs et vendeurs de journaux.

Des vendeurs-livreurs forment le sixième type, des marchands de bois de chauffage, de charbon et de glace. La dernière catégorie, celle des marchands d’aliments réunit les laitiers, boulangers, bouchers, poissonniers et des marchands de fruits et légumes.

L’auteure retrace leur manière de se déplacer sur les routes et de s’annoncer par des cris traditionnels; et des photographies et des dessins attirent l’attention des lecteurs comme compléments d’information ou comme divertissements.

Cet ouvrage découle de la lecture d’un grand nombre de monographies paroissiales et de journaux d’époque, de relevés d’enquêtes ethnographiques sur le terrain auprès de personnes âgées, de travail de recherches en archives et dans les musées. Le résultat en est un livre instructif et passionnant.

Il existe bien d’autres métiers du genre; et l’auteure ne les a pas négligés, puisqu’elle traite d’une manière exhaustive, dans Arts et métiers de nos ancêtres, 1650-1950, de l’arracheur de dents, du faiseur de four de glaise, de l’allumeur de réverbères, de l’homme de guet, du vire-chiens, etc.

Un regard sur l’ensemble des études réalisées par Jeanne Pomerleau montre bien qu’elle couvre un large champ de la culture matérielle. L’apport de cette auteure à la connaissance des métiers et des occupations est important pour la sauvegarde de l’histoire du genre de vie de la période se terminant vers le milieu du XXe siècle.

Nombreux métiers qui furent l’objet de préoccupations de l’auteure découlent de la tradition française; ils furent transmis de l’Europe à l’Amérique qui les perpétua en les adaptant au besoin. D’autres, cependant, prirent naissance dans nos grands espaces, tels ceux de la recherche de l’or, de la traite des fourrures et des infirmières en régions éloignées.

Ses publications sur les métiers ambulants, artisanaux, d’arts, d’aventures, ou de services religieux et somatiques, constituent une importante source de documentation pour les animateurs d’activités culturelles comme celles de fêtes paroissiales ou autres événements commémorant le «temps passé».

On a, par exemple, dans le Vieux-Québec, le Vieux-Montréal et le Vieux-Trois-Rivières, recréé des pratiques ancestrales, telles celles du fondeur de cuillère, du ramoneur, du crieur de rue, du forgeron, du chercheur d’or, etc.

Ailleurs, la lecture d’ouvrages de Jeanne Pomerleau a donné lieu à des journaux régionaux, des bulletins paroissiaux, ou d’association professionnelle comme la Terre de chez nous, le Bulletin des Agriculteurs, etc., de faire place à des rubriques remémorant des activités ayant jadis été répandues chez les Canadiens français.

Dans certaines écoles, au niveau primaire, à partir de lectures d’écrits de Jeanne Pomerleau faites par leurs enseignantes, les élèves ont créé des séances animées, genre de théâtre populaire, d’une occupation ancienne. Parfois aussi on a exposé des dessins faits par les élèves de personnages imaginés à partir des descriptions de l’auteure.

Ses écrits complétés par de nombreuses références tirées de monographies paroissiales, de manuscrits et documents d’archives se prêtent bien à la consultation et à des retours aux sources citées.

Une autre habitude de l’auteure est celle de compléter ses descriptions techniques de pratiques coutumières par des croyances et des dires de sciences populaires, voire même de chansons, de complaintes, de contes et légendes ayant jadis été associés aux pratiques gestuelles.

La plupart des travaux de Jeanne Pomerleau commencent d’abord par des définitions des sujets en cause et de leur situation dans la typologie des techniques établie par des devanciers comme Leroi-Gourhan, ou Robert-Lionel Séguin, par exemple.

Toutes ses démarches faites en vue de repérer de la documentation écrite, orale, ou picturale, Jeanne Pomerleau les fait énergiquement, avec passion. Également, elle prend plaisir à aller rencontrer une informatrice qui a consacré sa vie aux soins des Amérindiens en régions éloignées ou à écouter un pêcheur qui lui fait visiter une collection d’agrès de pêche.

Par exemple, on peut imaginer le temps qu’elle a mis et les contacts qu’elle a établis pour rassembler sa collection de quelques dix milles petites images dévotes constituant une galerie de saints et de saintes associés aux pratiques de la religion populaire.

Lorsque l’on considère l’importance de son œuvre concernant la pratique des métiers et des occupations traditionnels du Canada français, on réalise qu’elle a su avec bonheur réorienter sa carrière d’écrivaine qu’elle avait débuté en publiant un conte pour enfant, et un roman de mœurs campagnardes. Mais, cette auteure avait déjà une certaine pratique de l’écriture, puisqu’elle fait son journal quotidien depuis son séjour à l’école de rang.

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